Un brassage constructif…
Ils sont près de 80 cadet(te)s, les tous meilleurs français et leurs homologues allemands, mais aussi quelques universitaires d’Orléans et des athlètes « parajudo » à partager, une semaine durant (du 16 au 23 juin 2017), d’intenses séances sportives en vue des échéances de l’été (championnat d’Europe cadet(te)s, F.O.J.E., championnats d’Europe universitaires et Deaflympics). Au C.R.E.P.S. de Strasbourg, ce brassage n’est pas une première, et date de 1972. Il est même devenu essentiel aux délégations, toutes désireuses de tirer leurs athlètes vers le haut, aussi bien sportivement que sur le plan humain…
Mardi 20 juin, 9h45. Le parc du C.R.E.P.S. est bien calme. Pas de chants d’oiseaux ni d’écureuils pour l’accueil. Le thermomètre affiche déjà 29 degrés à l’ombre, la journée s’annonce plus que chaude. Arrivée dans le dojo, toujours le même silence. Sur le tapis, personne. Tout autour, les kimonos blancs et bleus, accrochés de ça de là, à la va-vite visiblement, semblent devenus les étranges témoins de ce calme ambiant, quelque peu inquiétant. Mais où diable sont-ils donc tous passés ???
Faire autre chose que du judo, pour créer des liens forts…
Au dehors, quelques lointaines clameurs. Elle proviennent du terrain de foot, investi par une joyeuse bande de jeunes. Des footeux ? Peu probable, au vu de la trajectoire de la balle, pas toujours guidée du meilleur geste technique. Quelques maillots et tee-shirts affichent pourtant clairement, sur le devant ou dans le dos, l’étendard Français ou le drapeau de la Mannschaft. Pas de doute, il s’agit bien de nos judokas, lancés corps et âmes à la poursuite d’un innocent ballon, balloté d’un côté ou de l’autre du terrain, sans aucun ménagement. De temps à autres, un but. Et des exclamations, d’outre-Rhin bien souvent. Mais aussi, et surtout, de larges sourires, et des jeunes visiblement ravis de ces joutes sportives quelque peu inhabituelles, hors cadre purement judo. L’occasion pour eux de travailler et d’améliorer leur condition physique, tout en s’amusant, dans une ambiance fraternelle. Dans les différentes équipes, des membres du staff. Eux aussi se divertissent, participant activement aux différentes séquences (attaque ou défense), tout en veillant au bon déroulement du jeu, portant un regard bienveillant sur leurs protégés. « A travers ces différentes activités sportives, où français et allemands, filles et garçons, sont mélangés, se créent des liens d’amitié », indique Bruno MURE, entraineur national des cadets (FR). « Sur cette semaine de stage, les échanges sont aussi culturels (ils vont visiter le Parlement jeudi), et pas uniquement sportifs. L’objectif principal est de préparer le groupe « France cadet(te)s » pour les prochains championnats d’Europe (du 30 juin au 2 juillet à Kaunas – Lituanie). Sur le tapis, on fait beaucoup de randoris, mais aussi des séances techniques, avec des objectifs bien précis sur le kumi-kata, sur les liaisons debout/sol, entre autres… ».
Gévrise EMANE, une légende. Elle aussi s’est amusée durant les différentes phases de jeu…
Dans un coin de gazon, tout sourire, se tient l’une des judokates les plus titrées du judo hexagonal. Multiple championne de France, quintuple championne d’Europe, triple championne du Monde, médaillée de bronze aux J.O., Gévrise EMANE, 6ème dan. Un monument. Balle aux pieds, ce n’est pas ce que l’on pourrait appeler son exercice de prédilection. Pour autant, la championne se fait plaisir sur le terrain, et savoure ces moments de partage. Ayant pris cette année un peu de recul sur sa carrière sportive, ce stage en tant que membre du staff, aux côtés de Cathy FLEURY, Karine DYOT, Bruno MURE, Richard HALOUIN, Cyril PAGES, Cédric GAUDET et Philippe KOPP, lui offre l’opportunité d’entrer de plain-pied dans sa vie professionnelle. « Je suis de l’autre côté de la barrière maintenant », indique-t-elle, l’œil pétillant. « Encadrer ce stage m’apporte un nouveau regard sur le judo. Bien sûr, je me base beaucoup sur l’expérience que j’ai pu vivre tout au long de ma très longue carrière ! ». Et de préciser, « l’objectif ici, avec les autres membres de l’encadrement, est d’apporter un maximum à ces sportifs. Nombre d’entre eux ne sont que cadet(te)s première année, 14/15 ans. L’idée est de leur apporter une certaine philosophie, notamment dans le combat, dans l’engagement, pour qu’ils puissent se donner à fond, et préparer leurs principaux objectifs ». Interrogée sur sa perception du groupe et son ressenti sur ce stage, la championne livre volontiers son analyse, sans arrière pensée. « On le sent bien, les jeunes sont engagés, ils ont envie. Surtout, ils veulent bien faire. Certains ne disposent pas encore de tous les éléments pour y parvenir. Mais c’est là où nous, cadres nationaux, entraîneurs des Pôles Espoirs mais aussi entraîneurs de clubs, avons un rôle à jouer. C’est un beau défi de tout mettre en œuvre afin qu’ils atteignent leurs objectifs. C’est important pour ces jeunes, qui visent le haut niveau, et surtout le très haut niveau, d’être hyper motivés, et de se donner à fond. Pour eux, c’est le début d’une nouvelle aventure, et ce genre de stage constitue un bon début… ».
Laura HABERSTOCK (en bleu à droite), s’est beaucoup investie. « Même si c’est dur, on en ressort grandi… »
Sur l’herbe, la chaleur devient ardente, et la sueur difficile à contenir. Pour ne pas trop faire souffrir les organismes du soleil, les équipes effectuent un roulement, passant du gazon au gymnase, et du but au panier. Autre jeu, autre style, mais toujours le même engagement dans l’opposition et la quête du terrain. L’enthousiasme est palpable, et aucun ne se ménage. L’envie de marquer est omniprésente, et chacun, quelque soit sa nationalité, apporte sa contribution. La réussite, le succès, se veulent avant tout collectifs. Au final, peu importe vraiment qui l’emporte, l’essentiel est ailleurs. « Ces activités nous permettent de bien nous amuser tous ensemble », reconnait Laura HABERSTOCK (Grand Est – Pfastatt), cadette 2ème année, pensionnaire du Pôle Espoirs de Strasbourg. « C’est intéressant de partager cela avec les allemand(e)s, et nous permet de nous rapprocher d’eux. En dehors du judo, on peut prendre du temps avec eux, et en profiter pleinement ». La jeune fille, récente médaillée de bronze au championnat de France cadettes (avril 2017), prépare activement le Festival Olympique de la Jeunesse Européenne (F.O.J.E. du 22 au 29 juillet à Gyor – Hongrie). Pour elle, ce stage tombe à point. « C’est super déjà de faire partie du « Groupe France » ! », admet cette dernière, non sans une certaine fierté. « Sur le tapis, c’est très dur, mais ça me plait. Il y a une belle différence entre le judo allemand et le judo français, ils sont beaucoup plus physiques que nous, surtout les internationaux, et ça nous fait de très bons partenaires. Pour nous, cela nous oblige en permanence à nous adapter, il est intéressant de changer nos habitudes. Surtout, il faut oser et vraiment se lancer, car si on se bloque, après on a du mal. Ce stage apporte beaucoup, même si c’est dur, mais on en ressort grandi, et avec plein de souvenirs… ».
L’encadrement participe activement aux débats. Ce n’est pas pour déplaire à l’entraineur des allemandes, Lena GÖLDI…
Si la satisfaction de ces échanges reste de mise chez les judokas, cette dernière fait également l’unanimité du côté de l’encadrement. Lena GÖLDI, l’entraineur national (D) des cadettes, dresse un bilan des plus positifs. « Pour nous, c’est toujours une semaine exceptionnelle ! », indique la cadre, elle aussi ravie de participer intensément aux différentes séquences. « Pour nous, s’entraîner avec les tous meilleurs judokas de la France est quelque chose de très particulier. Nous avons également une équipe forte en Allemagne. Nous sommes surtout très contents de ces échanges, car l’ambiance est très bonne, aussi bien sur le tatami qu’à côté avec toutes les activités que nous faisons. C’est vraiment plaisant, car on profite de nos cultures réciproques. Pour nous aussi, entraîneurs, les échanges sont très riches ! ». Et de compléter, « pour notre groupe, ce stage constitue une excellente préparation en vue des prochains championnats. Les différences de judo sont sensibles, les français sont très forts au niveau technique, au kumi-kata notamment. Ils ont une certaine volonté, sont pugnaces, mais ont tendance des fois à se précipiter. On n’a pas ça chez nous… ».
Judokas français, allemands, encadrement. Tous se sont pris au jeu, et ont livré de rudes batailles…
Durant les batailles épiques au foot et au basket sur les terrains respectifs, d’autres athlètes en ont profité, en fin de matinée, pour investir le dojo. Camille BRASSE, Joshua HAESSY (Grand Est – Guebwiller), Cyril JONARD et Arthur REPIQUET. Eux font partie de l’équipe « parajudo ». Sur le tapis, ça bosse dur. Au programme, séance de prépa physique. Ils sont en pleine préparation pour les Deaflympics qui se dérouleront fin juillet à Samsun (Turquie). Pour l’encadrement, pas question de les ménager. Dans un coin du tapis, la kiné du groupe, Anne GERMAIN, veille. La corde à sauter, formidable outil de jeu de notre enfance, trouve ici une place prépondérante. Chacun s’investit sans compter, soucieux d’améliorer son potentiel, et devenir compétitif pour l’échéance à venir. « Ce stage Franco-Allemand constitue une belle opportunité pour nous ! », indique Thomas PASCAL, un des encadrants. « La présence d’internationaux cadets est intéressante pour aller chercher l’opposition. Avoir des partenaires plus forts est primordial pour évoluer. D’autant plus que le partage des séances « judo » entre valides et « parajudo » s’avère extrêmement profitable pour tout le monde, sportivement et surtout humainement… ».
Cyril JONARD (sourd et malvoyant), champion paralympique (- de 81 kg), très concentré lors des courtes séquences de récupération…
Sur le tapis, couvert de sueur, l’Alsacien Joshua HAESSY travaille sans relâche. Médaillé de bronze l’an passé aux Mondiaux pour sourds, ce dernier savoure. « Je suis très heureux de pouvoir participer à pareil stage ! », confie le judoka, tout sourire. « C’est une super expérience, qui nous apporte énormément et nous permet de progresser. C’est intéressant d’avoir à faire à l’équipe nationale cadet(te)s, mais aussi aux allemands. Ces derniers offrent des oppositions très fortes, surtout au niveau physique. C’est très enrichissant d’être confronté à eux. Pour ma part, cela m’oblige à m’adapter, à réajuster mon judo en conséquence, et c’est comme ça que je m’améliore… ».
Joshua HAESSY vit ce stage intensément, bien conscient des bénéfices à en tirer…
Malgré la chaleur, tous ont franchi durant cette semaine de stage une étape importante vers la quête de leurs objectifs, mais aussi dans leur cheminement personnel. Une démarche nécessaire et valorisante pour notre discipline, et un partage enrichissant à tout niveau. Au delà de l’aspect purement sportif, l’universalité du judo trouve ici tout son sens…
Ci-dessous les photos « souvenir ». Paris 2024 n’est jamais bien loin (dernier cliché)…